Les politiques d’hébergement en France sont manifestement un échec, en matière d’efficacité comme en matière d’emploi des fonds publics.
Elles sont le résultat des politiques du logement qui ont privilégié, surtout ces dix dernières années, la course au logement cher, à la spéculation et au profit, au détriment de la satisfaction de l’intérêt général, de la production et de la préservation de logements accessibles.
La hausse constante du nombre d’expulsions locatives et du nombre de sans abri, n’est plus acceptable car elle condamne des êtres humains à mourir à petit feu dans la rue et nous amène à nous habituer à vivre une indifférence cruelle et destructrice pour notre corps social.
Les dépenses programmées au budget de l’État pour l’hébergement sont chaque année sous estimées, et donc inférieures à la dépense réelle.
Cette situation provoque chaque années des conflits et des réactions des associations qui s’inquiètent de ne pouvoir réaliser leur mission. Elle laisse des milliers de personnes dans la rue et la très grande précarité. Cette situation récurrente traduit l’absence de vision à long terme, qui prévaut dans les politiques relative à l’hébergement.
C’est bien d’un logement accessible et décent dont ont besoin en général les sans logis. C’est dans cette direction que le bas blesse.
Dans ce cadre, nous émettons 15 propositions pour sortir de cette barbarie, et interpellons le nouveau gouvernement pour qu’il passe concrètement à l’action.
Nous proposons :
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un plan d’urgence, de mobilisation des locaux et logements vacants, dont 50 000 en Ile de France et 50 000 dans les autres régions. Il s’agirait de loger environ 300 000 personnes, qui sont sans abri, dans des habitats hors norme, hébergés dans des hôtels, vivant une forme d’errance et de ballotage social, ou reconnus prioritaires DALO et non relogés dans le délai de 6 mois fixé par la loi . Ce plan pourrait couter environ 800 millions d’euros par an, selon notre évaluation.1
1 Cette évaluation est faîte à partir de données relatives au coût du SOLIBAIL, qui revient en moyenne à 750 euros par mois par logement, dont 550 euros d’accompagnement social, de gestion, et d’entretien du logement.
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des mesures pour améliorer les conditions d’hébergement, et cesser d’alimenter le flux des sans abris
I – Mobilisation des biens vacants de l’État, des administrations, et entreprises publiques :
2 EXEMPLES :
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La caserne de gendarmerie de Saint Denis, à la lisière de La Courneuve : plusieurs dizaines de logements familiaux disponibles
– Pavillon désaffectés et souvent classés des hôpitaux Ville Evrard et Maison blanche, à Neuilly sur Marne : plusieurs centaines de places sont disponibles, en attendant des travaux.
– … Armée, justice, économie et finances, SNCF, La poste, collectivités territoriales … disposent d’un patrimoine vacant qui devrait être mis à disposition. Voire avec la direction des domaines de l’État, pour mieux connaître les disponibilités. Mais il faut rompre avec la doctrine de vente à tout prix du patrimoine public.
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Mettre à disposition 10 000 logements (soit 35 000 places) appartenant à l’État à ses entreprises ou à des collectivités territoriales, dont la moitié en Ile de France
Coût de la mesure : faible dans la mesure où les locaux appartiennent à l’État, ou des collectivités, et peuvent être mis à disposition gratuitement, ou contre une indemnisation limitée.
Il resterait alors à financer le suivi social et d’éventuels travaux, soit environ 70 millions € par an.
II – Mobilisation de HLM Vacants :
Selon l’enquête RPLS (parc locatif Social), 3,2% du parc HLM en France était vacant en janvier 2011, sur un parc total de 4,58 millions de logements, soit 146 400 HLM vacants.
En Ile de France le taux de vacance est de 2,6%, sur un total de 1,2 millions de logements sociaux, soit 31 240 logements HLM vacant.
Selon l’enquête RPLS France entière, la définition d’un logements HLM vacant est “un logement non occupé et non proposé à la location, car en cours ou en attente de travaux, de démolition ou de vente.”
Quelques expérimentations ont été lancées, pour mobiliser ces logements en intermédiation locative, car ces logements restent vacants pendant des années, jusqu’à leur destruction ou leur réhabilitation.
Ces logements sont parfois squattés par des ménages sans logis, et lorsqu’ils sont expulsés, les logements sont réoccupés par de nouveau occupants, entrainant de nouvelles procédures, nouvelles interventions de la force publique, réinstallation de systèmes de protection … . Ces logements pourraient utilement être employés à des relogements temporaires, encadrés par des organismes spécialisés dans l’accompagnement social.
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Encourager les bailleurs sociaux, à mettre temporairement les logements vacants à disposition d’organismes d’intermédiation locative. La loi l’autorise. 20 000 logements sociaux désaffectés (environ 60 000 personnes) dont 10 000 en Ile de France dans un délai 1 an, complété par un accompagnement social, pourraient être rouverts. Le relogement nécessaire dans un délai de 2 à 5 ans serait réparti sur les différents contingents : État, Maire, Bailleur, collecteur du 1%.
Coût : Faible puisqu’il s’agit de logements sociaux. L’accompagnement social, et éventuellement quelques travaux de rafraichissement, pourraient revenir environ à 150 millions € par an.
III – La sous location dans le parc locatif privé :
Le mise en place en 2008 par la Ville de Paris du dispositif “louer solidaire et garanti”, dans un premier temps à titre expérimental, puis en 2010 pas l’État (dispositif SOLIBAIL), appuyé sur le même principe, restent encore secondaires dans les politiques d’hébergement décent, mais peut s’avérer une solution souple et adaptée aux grandes agglomérations.
Inspiré du modèle Britannique, qui dispose en permanence de plusieurs dizaines de milliers de “temporary social housing”, pour accueillir les sans-abris principalement à Londres, le logement temporaire d’urgence, loué dans le parc locatif privé à un prix inférieur de 30 à 10% du marché, est garanti par l’État, géré par une association du logement et habité par des personnes sans abri et “vulnérables”. Le paiement du loyer et l’entretien du bien sont garantis au bailleur.
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Accélérer la montée en charge du dispositif, pour atteindre un objectif de 40 000 locations, (dont 15 000 en ile de France). Il serait possible de coupler ce dispositif avec la procédure de réquisition, et d’impliquer les Conseils généraux dans ce dispositif, au titre de l’ASE.
Coût : – Le coût moyen par logement SOLIBAIL se situe aux alentours de 750 euros mensuel par logement, dont 200 euros pour une aide au paiement du loyer dans la limite d’un taux d’effort de 30%, pour des logement de 2 ou 3 pièces (nombre moyen de 2,4 pièces par logement). Le reste finance le suivi social, la gestion locative, la prospection et la négociation avec les bailleurs …
C’est de toute façon bien moins cher que l’hôtel, qui revient au minimum à 1800 euros pour 3 personnes. Coût total environ 360 millions € par an.
IV – La réquisition des logements vacants :
Le nombre de logements vacants a augmenté en France depuis la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions, dite loi Aubry, qui a institué la taxe sur les logements vacants.
Ils sont passés de 2,05 millions en 1999, à 2,29 millions en 2009 (+240 000 unités), selon l’INSEE.
Les comptes satellites du logement publiés par l’INSEE, estiment à 2,39 millions le nombre de logements vacants en 2011, soit 7,1 % du parc.
Le climat spéculatif a encouragé la persistance et la hausse de la vacance, notamment dans les zones urbaines tendues.
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Réquisition progressive de 30 000 logements, appartenant à de riches propriétaires, personnes morales ou physiques, dont 15000 à Paris et proche Banlieue.
Coût de la mesure : l’indemnité est payée par le bénéficiaire de la réquisition, il reste à financer l’accompagnement social, le recherche de logements vacants, et des travaux limités de rafraichissement, soit environ 220 millions €, par an.
V – Boucler le droit à l’hébergement, cesser le ballotage, limiter l’hébergement hôtelier, cesser les formes d’hébergement indignes :
Le Droit à un hébergement a été reconnu dans la législation française, et a été reconnu « liberté fondamentale » par le conseil d’État en février 2012.
Ce nouveau droit et les nombreuses atteintes à la dignité, à l’intégrité, à la vie familiale et privée … que subissent les personnes privées de logement, imposent :
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que toute personne qui le souhaite et en fait la demande, puisse être hébergée décemment. Il y a donc lieu de limiter les interprétations restrictives de ce droit.
Une telle mesure nécessite de développer des durées d’hébergement d’urgence plus courtes, et d’avoir des moyens suffisants et moins coûteux de relogement.
Plusieurs réformes conduites ces dix dernières années, ont abouti à multiplier l’errance hôtelière, ou « ballotage », notamment en Ile de France, ayant pour effet de décourager ou d’épuiser les personnes et familles hébergées.
Ainsi, des personnes sans logis, y compris des familles avec enfants, sont éloignés de leur environnement, à tel point que pour effectuer leurs activités quotidiennes (école, travail, soins, repas …), ils doivent traverser plusieurs départements, prendre des transports couteux et longs, doivent changer de lieux d’hébergement très fréquemment (parfois tout les jours).
Ils perdent leur emploi, ne peuvent plus scolariser leurs enfants, et sont progressivement marginalisés puis sanctionnés par les institutions sociales.
Des formes d’hébergement indignes et inadaptées persistent, dans certains foyers. Ainsi des sans logis doivent s’entasser à 4 ou 6 dans des chambres de 9 m2 à 12 m2, en deçà des normes minimales prévues pour des animaux domestiques ou d’élevage.
Pour des raisons budgétaires, la fermeture quotidienne de certains centres d’hébergement d’urgence (CHU) persiste, en contradiction avec la législation relative au droit à l’hébergement.
Quatre mesures sont nécessaires :
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quelque soit l’organisation administrative compétente pour mettre en œuvre ce droit, l’hébergement d’urgence doit être recherché à proximité du lieu habituel de vie, et une règle du rapprochement du lieu de vie doit être créée et respectée..
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La solution de l‘hôtel coûteuse et alimentant des filières de marchands de sommeil, ou d’hébergement indigne, doit être limitée dans la durée. Ce mode d’hébergement d’urgence, ne devrait pas pouvoir excéder plus de 6 semaines. Autrement dit, un relogement durable ou temporaire devrait être mis en place impérativement avant 6 semaines, comme en Grande Bretagne.
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Le service social de secteur reste l’échelon le plus adapté pour déclencher un hébergement d’urgence, suivi d’un « relogement de stabilisation ». Il faut que les travailleurs sociaux disposent des moyens nécessaires pour mettre en œuvre ce droit, et aient accès à des prestataires en capacité de répondre à leur sollicitation : les financements, la mise en œuvre, et le contrôle du dispositif devraient être sous la responsabilité partagée de l’État, et du département.
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Cesser les modes d’hébergement manifestement indignes et contraires à la législation (respect des normes minimales de décence, de surface minimale, de salubrité et de sécurité) et imposer l’accueil 24h sur 24
VI Améliorer la procédure de réquisition :
Ni les mesures de prévention de la vacance, telles que les primes à la location ou la défiscalisation des revenus locatifs, ni les aides à la réhabilitation contre travaux, ni même la taxe sur les logements vacants n’ont permis d’enrayer la hausse constante du nombre de logements vacants dans notre pays, y compris dans les zones tendues.
La hausse récente du taux de la taxe sur les logements vacants ne devrait pas modifier significativement cette tendance, car il existe de nombreux moyens d’échapper à cette taxe, et sont taux est plus faible que celui de la Taxe d’Habitation (adition du taux communal et départemental) .
La Loi de 1998 a créé une nouvelle procédure, dite « de réquisition avec attributaire », qui s’est révélée inapplicable, le périmètre étant limité, et offrant des possibilités suffisantes aux propriétaires pour y échapper.
Il y a donc nécessité de mettre en œuvre l’ordonnance du 11 octobre 1945, qui a créé la réquisition des logements vacants, pour y loger des sans logis, ou des prioritaires DALO.
Environ 120 000 réquisitions ont été prononcées en France, depuis la Libération, pour loger des mal logés. La dernière vague de réquisitions remonte à 1995 et 1996, lorsque le Gouvernement avait réquisitionné environ 1200 Logements de groupes financiers empêtrés dans la crise immobilière de l’époque.
La réquisition, ou « procédure d’attribution d’office », est limitée dans le temps et prévoit une indemnisation du propriétaire. Elle n’est donc pas une mesure confiscatoire.
Elle peut être mise en œuvre immédiatement, et en grand nombre, à la condition de donner instructions aux Préfets des différents départements d’appliquer la loi, selon l’article L 641 et suites du Code de la Construction, sur les logements vacants depuis 6 mois et plus.
Une adaptation de la procédure issue de la Loi de 1998 ne serait pas à exclure, à la condition de la rendre efficiente :
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Elargir le périmètre de la procédure de réquisition aux personnes physiques et aux logements vacants depuis 6 à 12 mois mois et plus et limitation des moyens dilatoires offerts aux propriétaires
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étendre la mise en œuvre du droit de réquisition aux collectivités territoriales, et permettre à des associations ou des collectifs d’habitants de déposer des demandes de réquisition et de les gérer.
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Instaurer une déclaration de vacance depuis plus de 6 mois auprès des services fiscaux
VII – Cesser les expulsions sans relogement :
Une circulaire relative à la suspension des expulsions de ménages reconnus prioritaires DALO, conformément à un engagement de François Hollande a été annoncée aux associations par le Ministère du logement. Elle serait en discussion avec d’autres ministères. Toutefois, les semaines passent et les expulsions de prioritaires DALO se poursuivent. Nous attendons donc cette circulaire avec impatience.
Aujourd’hui l’hébergement jusqu’au relogement est un droit, et une compétence de l’État, il est donc nécessaire d’une part de limiter les motifs d’expulsion, en encadrant et baissant les loyers, supprimant le congé vente, et en solvabilisant les locataires, et d’autre part de garantir un relogement temporaire à toute personne expulsée.
L’article 119 de la Loi de lutte contre les exclusions du 31 07 98, obligeant le Préfet à s’assurer qu’un hébergement est mis en place préalablement à l’octroi du concours de la force publique, avait été censurée par le Conseil Constitutionnel. Il était reproché à cette disposition de violer le principe de séparation des pouvoirs, le Préfet devant avant tout exécuter la décision de justice, ne pouvait suspendre cette expulsion faute d’hébergement.
Il faut faire aboutir cet essai d’humanisation de l’expulsion locative.
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Confier au juge de l’exécution, ou au juge des référés le soin d’accorder des délais en urgence, si le ménage expulsable n’a pas eu de proposition de relogement préalable, s’agissant de prioritaires DALO, ou s’il ne dispose pas de revenus suffisants pour se reloger par ses propres moyens.
VIII Développer des formes d’hébergement autogérées et insérées dans les quartiers et les zones rurales :
Des petites unités pourraient être mise en place, pour un hébergement collectif, privilégiant l’autogestion par les sans logis, en ce qui concerne la production des repas, l’approvisionnement, l’entretien des locaux, complété par un accompagnement social allégé. Ces structures viseraient les personnes en capacité de vivre en autonomie, en collectivité (partage des tâche), particulièrement les jeunes et les personnes en transit.
Il serait possible de soutenir des initiatives d’auto construction d’habitat léger et non polluant, et de créer un réseau d’auberges pour les sans logis nomades.
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Développer des modes d’hébergement participatifs, et alternatifs, encourageant la responsabilisation, l’initiative et l’esprit de solidarité des sans logis.