COMMUNIQUÉ
23 août 2021
Droit Au Logement soutient les squatters par nécessité et appelle à la réquisition par la loi, ou à défaut par les actes, des biens vacants de riches propriétaires !
L’association Droit Au logement fait une mise au point à la suite de la publication d’un article du journal Le Monde du 6 août 2021 titré « loi anti-squat, un premier bilan encourageant », parce qu’il déforme les propos du porte-parole de Droit Au Logement[1].
La fédération DAL dénonce l’importance et la hausse constante du nombre de logements vacants en France, constate que le Gouvernement laisse délibérément s’installer ce fléau et dénonce la répression dont sont l’objet les occupants sans titre.
Existant depuis 30 ans, DAL a occupé et soutenu l’occupation de nombreux biens vacants de grands propriétaires privés ou institutionnels, par des personnes confrontées à la crise du logement. Si l’association n’occupe pas de biens vacants de petits propriétaires, elle demande que soit mise en œuvre une politique de mobilisation des logements vacants et le relogement des personnes expulsées, y compris les squatters.
De plus, pour Droit Au Logement, occuper un local vacant n’est pas un acte « illégal ». Le considérer comme tel reviendrait à condamner les personnes en état de nécessité, qui se réfugient avec leurs proches dans des locaux inhabités afin de se protéger.
DAL fait part de sa solidarité avec les personnes et les collectifs en difficulté de logement qui occupent sans titre des logements et locaux vacants, comme l’ont fait tant de sans-logis, de mal-logés et de mouvements depuis plus de cent ans.
Une politique répressive contre les squatters :
Une campagne médiatique a monté en épingle quelques affaires de squat litigieux. Comme trop souvent aujourd’hui, les plus précaires deviennent les boucs-émissaires, en l’occurrence les sans logis qui squattent par nécessité ou se font escroquer par de faux bailleurs.
Plutôt que de chercher à réduire le nombre inégalé de logements vacants ou de rédiger une circulaire pour protéger les locataires expulsés illégalement de leur logement, la Ministre du logement, revenant sur ses déclarations antérieures, préfère réprimer :
La circulaire du 2 février 2021 étend le champ de l’expulsion administrative – 48h et sans intervention du juge – à l’occupation de logements « occasionnels [2]».
La Ministre du logement a créé une cellule pour contrôler et renforcer la mise en œuvre de cette procédure extrajudiciaire : Ministre du délogement et de la propriété privée sans limite ?
Le Conseil Constitutionnel a même dû censurer à deux reprises en quelques mois le triplement des peines pénales contre certains squatters adopté en CMP, donc avec le soutien du Gouvernement.
Cette politique répressive ne peut aboutir qu’à accroître un nombre toujours plus élevé de sans abris et de logements vacants : ainsi, l’INSEE annonce 3,1 millions de logements vacants en 2020, un record historique qui alimente la pénurie de logements abordables, la cherté du marché locatif, immobilier et foncier, les profits inégalés tirés de cette situation…
3,1 millions de logements vacants, un haut historique, une politique délibérée :
Chaque année, leur nombre bat des records : en 2010, l’INSEE recensait 2,1 millions de logements vacants, en 2021 elle en compte 3,1 millions soit un million de plus en 10 ans, soit 100 000 de plus chaque année !
Contrairement à la crise du logement d’après-guerre causée par l’insuffisance de logements et de moyens pour les construire, celle que nous affrontons aujourd’hui s’amplifie chaque année, en témoigne la hausse ininterrompue du nombre de sans logis, d’expulsions ou de demandeurs HLM.
Elle est le produit de la dérégulation progressive des rapports locatifs, de politiques fiscales et d’urbanisme libérales soutenant un déluge de profits immobiliers et plus récemment de l’amputation des aides au logement. La hausse de la vacance est non seulement un des effets de ces politiques, mais son importance renforce la pénurie de logement et en fait désormais un accélérateur de la crise.
Or l’urgence sociale et le bon sens justifient d‘encourager, voire contraindre, les propriétaires de logements vacants à les rendre à leur finalité d’origine : loger des personnes.
Laisser un logement vacant dans ce contexte est une anomalie, voire une incivilité. Un logement est fait pour habiter, pas pour rester vide et encore moins pour spéculer.
Les différentes origines de la vacance sont identifiées : en dehors des logements en cours de location ou de vente, la vacance est produite par un calcul spéculatif, par la négligence ou par l’incapacité à gérer ses propres biens immobiliers [3]…
Un article de septembre 2020 sur le site « centre d’observation de la société[4] analyse des informations issues de l’INSEE et de l’administration :
– 1,55 millions sont vacants depuis plus d’un an, 700 000 logements depuis plus de 4 ans, (l’IGF[5])
– En zone tendue 228 000 logements étaient vacants depuis 2 ans et plus (RGP INSEE 2017)
– 560 000 sont vacants dans les 50 plus grandes villes dont 117 000 à Paris (idem).
En février 2020, le ministère du logement avait annoncé un plan national de mobilisation des logements et locaux vacants[6] prévoyant … la réquisition !
18 mois plus tard, en dehors d’un rapport[7] d’une grande vacuité sur le comportement des propriétaires de logements vacants réalisé par un organisme britannique semi privé, confirmant que les propriétaires de logements vides sont plutôt riches et âgés, la vacance continue d’augmenter, les mesures contre les squatters se multiplient, les réquisitions sont au point zéro.
L’augmentation continue de la vacance (dans le contexte actuel de crise du logement) est donc la conséquence de l’inaction gouvernementale et son refus de prendre toute mesure réelle non seulement pour loger les impactés du logement cher, mais aussi pour lutter contre ce fléau qui participe à l’augmentation de la bulle immobilière et donc à la cherté du logement.
Quelles sont les raisons de cette inertie ? Fidèle soutien à la spéculation et au logement cher, le gouvernement actuel, pas plus que la plupart des précédents, ne souhaite se heurter au lobby de l’immobilier, ni réduire les abondantes recettes fiscales tirées du logement cher. [8]
La spéculation a horreur des « signaux négatifs », car elle peut provoquer des corrections sévères et une politique efficiente de mobilisation des logements vacants constituerait un « mauvais signal ».
C’est pourquoi le gouvernement préfère réprimer les squatters plutôt que les bailleurs délinquants, qu’il préfère laisser augmenter le nombre de logements vacants plutôt que de les réquisitionner, qu’il préfère dépenser sans compter dans l’hébergement d’urgence pour camoufler la brutalité de son action.
C’est pourquoi il préfère sabrer les budgets sociaux du logement (APL et aides à la pierre), au lieu de taxer les profits extravagants tirés du logement cher pour produire des logements sociaux abordables.
Comment mobiliser les logements vacants :
Réduire la vacance permet de s’attaquer à la crise du logement sans délai : il n’y a pas besoin d’attendre la construction de logements abordables, puisqu’ils sont déjà là !
Un programme complet, expliqué et volontaire, répondant à l’intérêt général plutôt qu’à des intérêts particuliers ou à des intérêts publics politico-fiscaux, est possible; un tel objectif ne peut s’exonérer d’appliquer la loi de réquisition issue de l’ordonnance de 1945, car son inapplication est la cause de l’échec de tous les plans mis en place aussi bien au niveau national que territorial.
Trois types de mesures doivent être mis en œuvre conjointement pour être efficaces :
1 – Mesures incitatives : développer les mesures d’accompagnement et d’aides existantes destinées aux petits propriétaires de logements vacants impécunieux ou en incapacité de gérer leur bien, leur permettant en général de bénéficier d’un loyer, un entretien du logement et si besoin une remise en état préalable du logement. Citons le bail à réhabilitation, les agences immobilières à vocation sociale, l’ANAH, l’intermédiation locative… Dans le cas des propriétaires en incapacité, les tutelles devraient être incitées à se saisir activement de ces mesures.
2 – Mesures fiscales : durcir, généraliser et rendre progressive la taxe sur les logements vacants; supprimer l’abattement progressif de l’impôt sur les plus-values immobilières et foncières car il encourage la rétention spéculative à long terme d’autant plus que cet abattement permet de couvrir les frais de rétention (TF, entretien…).
3 – Mesure de réquisition : tous les programmes mis en place depuis 20 ans ont échoué faute de réquisition des biens vacants de grands propriétaires privés. Or la réquisition est une mesure fortement incitative et nécessaire pour sortir de la spirale actuelle. La procédure selon l’article L 641-1 et suites du code de la Construction est opérationnelle et a fait ses preuves[9]. Deux autre procédures dont la plus récente dédiée à l’hébergement issue de la loi ELAN fin 2018, reste inappliquée et inapplicable à moins d’être améliorée. Rappelons que la réquisition est temporaire; elle assure au propriétaire une indemnisation et sa restitution dans un délai de 1 à 7 ans.
Avec ces mesures d’urgence, il faut impérativement : financer massivement de nouveaux logements sociaux, rétablir et renforcer les APL, appliquer à la lettre et renforcer les lois protégeant les droits des sans-logis, des mal-logés et des locataires, au lieu de démonter pierre par pierre les politiques qui ont permis d’améliorer les conditions de logement de la population.
Un toit c’est un droit !
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[1] Le monde du 6 août 2021 « … Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au Logement, qui prône plutôt la réquisition. Nous ne sommes, de toute façon, pas favorables à l’occupation illégale de logements appartenant à des propriétaires privés, mais il y a tant de sans-abri face à trois millions de logements vides qu’il faut que leurs propriétaires les occupent ou les mettent en location. »
[2] Le terme « logement occasionnel » n’a aucune base juridique ou fiscale. Il pourrait donc être étendu à un logement vacant. Ce terme avait été retiré lors de l’examen de la loi ASAP, sur proposition de la ministre du logement, pour répondre à la mobilisation des associations. Toutefois, la circulaire du 22 janvier 2021 LOGI2102078C signée par la même Ministre l’a réintégré, en dépit des engagements pris.
[3] La vacance d’inaptitude concerne les logements dont le propriétaire est incapable de gérer lui même son bien, ex : mesure de protection judiciaire, ou ne dispose pas de ressources pour les réhabiliter…
[4] http://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/logement-modevie/le-boom-des-logements-vacants.html
[5] IGF : Inspection générale des finances – Le rapport apporte des informations supplémentaires issues des fichier de la taxe d’habitation, de la taxe sur les logements vacants et des valeurs cadastrales.
[6] plan national de mobilisation des logements et locaux vacants https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/lancement-du-plan-national-de-mobilisation-des-logements-et-locaux-vacants
[7] Rapport sur le plan national de lutte https://www.modernisation.gouv.fr/publications/encourager-la-mise-sur-le-marche-locatif-des-logements-vacants-grace-aux-leviers
[8] Comptes du logement 2019: https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/rapport-du-compte-du-logement-2019-0
[9] Environs 120 000 réquisitions ont été prononcées depuis 1945, dont un millier en 1995 et 1996 à la suite de l’occupation du 7 rue du Dragon à Paris.